Quelques mots, d'abord : ce texte a été écrit pour La Boîte à rêves, sur une idée originale de Quichottine et Solyzaan : colorier une image, la transformer et, si nous le voulions, y déposer quelques mots en écho.
Cette idée et une autre première ont donné naissance à un très beau projet, réaliser deux recueils collectifs, livres dont les bénéfices seront versés à une association aidant les enfants hospitalisés.
Pour la première initiative, le lien essentiel : Mijoty
Et pour tout savoir des projets de Quichotine : (link)
Merci à vous deux !
Voici donc ma petite contribution à la Boîte à têves...
Les Nuits de Colline
Colline était encore bien petite, elle ne savait pas même lire et déjà ses nuits sombraient dans l’obscurité des cauchemars. A peine fermait-elle les yeux que tous l’assaillaient, gargouilles ricanant, feux zébrant leurs ciels, cris d’un animal perdu, monstres serpentés prêts à l’engloutir. Quoi qu’elle fasse, compter les moutons ou fixer ses yeux sur une fleur aperçue dans la journée, toujours ses rêves dégoulinaient de noirceur, ses réveils en sursaut disaient l’effroi et la sueur.
Alors, un soir, elle décida de ne plus fermer l’œil. Elle guetta les bruits de la maison, leurs silences. Puis, à pas feutrés, elle descendit l’escalier de bois. Chaque marche qui l’accueillait devenait muette. Elle ouvrit la porte qui donnait sur le jardin ; les gonds lui souriaient dans un murmure à peine audible. Elle marcha, pieds nus dans l’herbe humide, jusqu’au grand noisetier. Il paraissait plus gigantesque encore dans l’obscurité. Et ses multiples branches se déployaient comme autant de bras qui la recevaient. Elle s’assit contre le tronc et regarda la nuit doucement se dire. Lorsque l’aube pointa son nez, elle retourna s’allonger dans la fraîcheur de son lit, attendant le réveil de chacun.
Elle revenait ainsi chaque soir se poser contre cet arbre. Peu à peu, ses yeux, ses oreilles discernaient ce qui l’entourait : quelques brindilles qui, très tôt, très tard, s’imprégnaient de rosée, les mouvements dans les branches et les herbes, ici une chouette, un peu plus loin un lapin égaré. Le chant du merle toujours lui annonçait son retour.
Une nuit, tandis qu’elle était là, le regard naviguant au gré des vibrations, elle aperçut quelques pépites au pied de l’arbre. De fines noisettes, illuminées par la fraîcheur, scintillaient dans l’herbe. Aussitôt, elle les ramassa, les recueillit au creux de sa main et, franchissant le portail, s’en alla jusqu’à la forêt de pins. Elle avançait sans aucune hésitation, comme muée par un appel. Elle s’arrêta devant l’arbre qui lui avait offert, un jour, d’apercevoir une ombre, un petit acrobate. Alors, près d’une racine, elle déposa sa cueillette.
Les semaines passèrent et, chaque fois, dans la douce obscurité, elle apportait son don. Jusqu’à ce jour-là où tout semblait tremblement en cette maison pourtant sereine. Les chuchotements, les cris, les larmes et les silences, elle avait tout entendu. Alors, l’obscurité venue, elle resta un peu plus longtemps assise contre le noisetier. Puis, lentement, elle se redressa et marcha, dans sa main, quelques rares noisettes. Avait-elle épuisé l’offrande ? Elle avait un peu honte de ce qu’elle apportait cette nuit-là.
Le vent s’était légèrement levé, comme une douce brise. Dans la forêt, les pins humblement se balançaient. Plus que quelques pas et elle pourrait déposer au creux de la racine cette petite nourriture. Pour la première fois elle tremblait. Le creux semblait comme obstrué. Quelque chose y était posée. Colline s’approcha. Une petite boite était là. Délicatement elle l’ouvrit, quelques doux rêves s’y murmuraient. Elle s’endormit…
Anne Le Sonneur