Dans les yeux du papillon (1)

Publié par Les chemins d'Anne Le Sonneur sur 6 Juin 2011, 19:34pm

Regard d'enfant

Amandine était la seule enfant de sa famille. Entourée d’adultes, au fur et à mesure qu’elle grandissait, son regard s’ajustait sur ceux de ses parents. Son papa, quand il était à la maison, restait des heures entières les yeux rivés à son écran magique où défilaient des images rarement rigolotes, des dessins bien droits, des chiffres à en perdre la vue et des mots que la petite fille ne comprenait pas toujours. Sa maman, quant à elle, s’affairait constamment dans chaque pièce, à la recherche de la moindre poussière, partant à l’assaut de la plus petite taches.

Amandine avait appris très tôt beaucoup de choses et notamment que seuls les humains parlent… et parfois aussi les écrans comme celui de son papa. Les mots de cette étrange machine sortaient de deux énormes bouches cubiques, dans un même élan. Quelques fois, elle entendait des sons curieux, comme ceux de son ventre à l’approche du repas, des tuyaux de l’immeuble qui résonnaient jusque chez eux. « Seuls les humains parlent ! » lui avait affirmé sa maman, comme elle aurait dit de ne pas renifler ou de mettre la main devant sa bouche en baillant. Et, depuis, la petite fille avait gardé en elle cette vérité qui la troublait.

C’était un matin de printemps. Elle n’avait pas cinq ans et elle croyait encore dans le mystère de chaque chose. Le soleil, ce matin-là, pénétrait dans le salon par la grande vitre, plus grande que les meubles, tellement haute qu’elle devait se tordre le cou pour en apercevoir la fin. Les rayons semaient leur lumière sur les dalles et Amandine sautai de l’une à l’autre, évitant soigneusement les zones d’ombre qui formaient une rivière. Puis, comme son nounours dormait encore dans le fond d’un vieux fauteuil, elle décida de le réveiller, pour qu’il profitât de cette belle matinée et lui offrir de partir vers la forêt d’étincelles.

Tandis qu’elle l’encourageait de sa petite voix, l’ourson descendit rapidement de son nid, se laissant glisser le long du bois. Il parvint à la première dalle de lumière. Un bond, deux, trois et le voilà déjà devant cette gigantesque montagne que formait la table du salon. Cette fois, la tâche était plus rude. A l’exception de quelques courbes, il n’était pas facile d’escalader ce versant bien raide. L’ourson s’y reprit à plusieurs fois mais il finissait toujours par glisser et se retrouver au même point, assis sur son derrière. Alors, Amandine eut pitié de sa souffrance et ses échecs successifs. Elle l’aida un peu, juste assez pour qu’il n’en fût pas fâché. Elle le prit par les pattes arrière et le souleva doucement. Puis, elle lui donna de l’élan et son compagnon s’envola dans les airs. Il retomba sur la table dans un grand fracas. D’un coup d’œil rapide, Amandine l’observa pour s’assurer qu’il n’était pas blessé ; mais heureusement, il y avait eu plus de bruit que de mal. L’ourson semblait en pleine forme et la petite fille laissa éclater sa joie : « Hourra ! Il a réussit à gravir la montagne ! C’est le premier ours à atteindre le sommet ! »

L’ourson s’apprêtait à descendre l’autre versant de la montagne, lorsqu’une ombre gigantesque voila le sommet. Tout, soudain, devint noir et Amandine aussitôt pensa que les nuages avaient noyé le soleil, qu’un orage se préparait. Alors, elle conseilla à son ami de se sauver au plus vite mais, trop tard. Le tonnerre éclata.

(…)

Anne Le Sonneur